mardi 9 décembre 2008

Eperviers du Togo : la chasse est ouverte

L’affaire Avlessi, avec ses zones d’ombres, confirme que les petites nations d’Afrique sont une proie facile pour les tricheurs du foot mondial.

Ce 9 décembre, c’est la journée mondiale de lutte contre la corruption. J’ai du mal à choisir un exemple pour illustrer l’importance de ce fléau dans le sport moderne… Corruption des membres du CIO pour l’attribution des JO (corruption avérée pour les Jeux de Salt Lake City, corruption soupçonnée pour quasiment tous les autres JO sous Samaranch)… Corruption des juges de patinage artistique (ou plutôt « arrangements » entre voisins géographiques)… Le choix est si vaste…

Ces faits sont déjà largement documentés et je préfère donc évoquer aujourd’hui, sur ce sujet sensible et polémique, le sort d’un petit pays de football dont on parle peu : le Togo, classé 121ème sur 180 au classement international de la corruption publié par Transparency International et 91ème sur 207 au classement FIFA.

Pourquoi le Togo ? Car une guerre des clans, sur fond de scandale de trucage de match, fait rage au niveau de la Fédération Togolaise de Football (FTF)… 3 fortes têtes briguent le fauteuil de Président de la Fédé…

Rock Gnassingbé d’abord. Ancien Président de la FTF au moment de la qualification historique du Togo pour la Coupe du Monde 2006, Rock n’est autre que le fils du défunt Président de la République (Gnassingbé Eyadema, grand ami de Mitterrand et de Chirac) et donc frère du présent Président de la République (Faure Gnassingbé, bon pote de Sarko). Vous m’avez suivi ? Retenez que Président de la Fédé de foot, au Togo, est un poste hautement stratégique : les plus hauts membres du clan Gnassingbé/Eyadéma, au pouvoir au pays depuis 1967, cherchent à s’y placer ! Le principal problème de Rock, c’est qu’il était aussi en poste lors du calamiteux Mondial 2006 et qu’il n’avait pas pu enrayer la descente aux enfers des Eperviers : démission de l’entraîneur Otto Pfister quelques jours avant le premier match face à la Corée du Sud, menace de grève des joueurs en plein Mondial, résultats sur le terrain catastrophiques, soupçons d’émigration clandestine de faux supporteurs togolais en Allemagne etc. La seule chance de gagner aujourd’hui pour Rock ? Emerger en homme providentiel, après une lutte fratricide entre les 2 autres candidats.

Le favori est l’actuel Prési, et candidat à sa propre succession, l’illustre Tata Avlessi. Homme d’affaires dans le civil. Originaire d’un tout petit village, Masseda, où il a fait construire un stade de plusieurs milliers de places ! L’Union Sportive de Masseda, son joujou, est une espèce d’Hoffenheim togolais. Tata Avlessi a les faveurs des stars l’équipe nationale : Emmanuel Adebayor a même refusé récemment de jouer un match amical avec les Eperviers au prétexte qu’Avlessi n’était pas présent dans les tribunes. Le problème, c’est que Tata Avlessi est le principal accusé dans une sombre affaire de corruption de match. Les faits se déroulent en 2007 à Lomé. Il s’agit du match Togo-Tunisie de la CAN des moins de 17 ans. Tata Avlessi aurait fait remettre la somme de 1.100.000 CFA (à peine plus de 1500 €) à l’arbitre gambien du match pour que celui-ci aide le Togo à gagner. Somme remise par l’intermédiaire d’un arbitre togolais, magistrat dans le civil ! Manque de pot, le Togo a perdu le match, en plus l’arbitre gambien en a parlé à son assistant et l’affaire est remontée jusqu’à la Confédération Africaine de Football (CAF), laquelle a suspendu Tata Avlessi de ses fonctions de Président de la FTF. Tata a fait appel auprès du Tribunal Arbitral du Sport de Lausanne. Il se dit victime d’une machination, d’un règlement de comptes de ses opposants à la FTF. Compte tenu de la confusion de la situation et des vices de procédures successifs, il a été rétabli dans ses fonctions. Il faut lire le PV du Tribunal. Les faits sont rocambolesques. Des enveloppes de billets atterrissent dans une chambre d’hôtel, des témoins se contredisent, reviennent sur leurs propos… On est en plein film de gangsters. Tout ça pour à peine 1500 € et un match de poule de CAN des moins de 17 ans, rappelons le.

Dernier challenger en lice : Ameyi Komlan Gabriel, actuel Vice-Président de la FTF. A Lomé, on dit qu’il tire de nombreuses ficelles. Un homme de l’ombre en quelque sorte… C’est l’ennemi juré de Tata Avlessi. Il espère bien cette fois ci occuper le fauteuil de Président de la Fédé, après Rock et Tata…

Pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de cette lamentable lutte de clans, sur fond de corruption, il faudrait en fait, pensent certains, regarder du côté de la Confédération Africaine de Football. Tata Avlessi est en effet un soutien de l’Ivoirien Jacques Anouma, principal challenger d’Issa Hayatou, l’inamovible président camerounais de la CAF. Les prétendues manœuvres contre Tata Avlessi, pensent de nombreux observateurs à Lomé, seraient dirigées par l’actuel patron du foot africain, qui jouit d’un pouvoir sans partage, à tel point qu’aucun autre candidat ne se présentera contre lui lors du renouvellement des instances de la CAF en 2009.

Vous avez compris ? C’est pas simple le foot togolais, c’est un peu comme la politique de ce pays, ça manque singulièrement de transparence démocratique.

Si tout se passe bien, résultat des urnes le 18 janvier. Mais la semaine dernière, la FIFA a contesté les listes constituées par les candidats, car certains soutiens figuraient sur plusieurs listes à la fois… Le nouveau Président de la FTF aura en tout cas fort à faire. Pour l’instant, les Eperviers sont sans entraîneur. Sans entraîneur, mais avec pas moins de 3 dirigeants prêts à s’entretuer pour s’asseoir sur le pactole de la Présidence de la Fédération.

En 2006, quelques jours avant ce fameux France-Togo, décisif pour la France, et sans enjeu pour les Eperviers, des amis togolais m’avaient expliqué qu’il n’y aurait pas de match. Que le 2-0 nécessaire à la qualification des Bleus était écrit d’avance. On ne parlait que de ça dans les restos de Lomé, aux "Brochettes de la Capitale", au "Fifty-Fifty" ou ailleurs... Ca m’avait fait sourire. Mais récemment, le livre de Declan Hill sur le trucage des matchs du Ghana (voisin du Togo) à la Coupe du Monde m'a à nouveau fait douter... Et si France-Togo avait également été truqué ? Etait-ce possible ? Je ne veux même pas l’imaginer… L’affaire Avlessi, avec ses zones d’ombres, confirme en tous les cas que les petites nations d’Afrique sont une proie facile pour les tricheurs du foot mondial.

PS : sur la photo, je suis aux côtés de Miss Togo, rencontrée à Ouagadougou en décembre 2001 ! J’espère que son élection à elle n’avait été entachée d’aucun soupçon !

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